Roland Flexner Project Space
Interrogeant les techniques qu’il aborde, méditant l’accomplissement de la constitution des formes, Flexner partage, avec d’autres artistes, l’assurance que pour voir, nous avons besoin de signifier ce qui apparaît, de le transformer en signe. Ainsi, il propose, à partir d’un matérialisme rigoureux, des images potentielles qui réfléchissent le désir figuratif inhérent à tout regard.
Ses œuvres ne visent pas le sujet, mais interrogent les conditions d’apparition des formes dans l’espace de la feuille de papier : déplacement des points de vue, renversement des espaces d’observation familiers et invention de nouveaux rapports formels.
Pour cette exposition dans le Project Space au troisième étage de la Villa Paloma, Roland Flexner présente près de 80 dessins, issus de diverses séries (Figures and Vanitas, LGY, LGBY, GIL, LG) et dont chacun peut être lu soit de manière individuelle, soit comme partie d’un ensemble.
Les dessins de Roland Flexner de la série Figures and Vanitas doivent être envisagés tels une méthode exigeant un constant renversement du regard. Une observation attentive amène à comprendre qu’il nous faut renoncer à l’empathie identificatoire et psychologique à laquelle nous a habitué l’art du portrait et qui nous ramène invariablement à la forme connue de nos sentiments.
Cette tension entre l’animé et l’inanimé trouve toute sa force dans ses portraits «hémiplégiques» qui donne au regardeur un sentiment « d’inquiétante étrangeté ». Les visages étirés en deux expressions contradictoires où une moitié de visage est impassible tandis que l’autre est activée, incarnent le seuil, l’empreinte quasi photographique d’une « mi-vie », entre la vitalité et la ruine apparente des corps.
Afin d’isoler sa main de la feuille de papier et aussi de ne pas y laisser de trace, il intervient dans un champ opératoire très délimité. En travaillant de cette façon, l’espace qu’il découvre est celui du détail. Cette manière de procéder, qui revient à une sorte d’immersion tactile dans l’espace de la feuille de papier, doit se comprendre comme une apparition des formes, travail qui, à l’instar de la photographie fait apparaître des images ou, plus exactement ici, des passages pour une écriture de la chair.
Les dessins au graphite liquide, explorations de la manière dont le hasard influence la composition de ces « paysages étranges », du fait de leur nombre important et de la répétition du processus, peuvent paraître semblables. Pourtant regroupés par gammes chromatiques car de natures différentes (certains sont réalisés sur un papier recouvert d’une mince couche d’argile « clayboard », d’autres sur du papier Yupo, et d’autres encore à base d’encre ou de graphite coloré), ce sont les gestes qui vont créer par l’ombre et la lumière, le caractère unique de chacun.
Pour Flexner, ces dessins sont connectés et résonnent à sa fascination pour les pierres de Rêve, minéraux dont les surfaces ressemblent à des peintures figuratives. Tout comme ses dessins, ces pierres documentent le flux de matière organique, où la chance agit encore une fois comme chez l’artiste, en créateur.
Ces séries sont le prolongement des recherches développées par l’artiste dans ses « Sumi », dessins obtenus grâce à une méthode traditionnelle japonaise, le Suminagashi (que l’artiste a appris au japon lors d’un long séjour en 2004). Cette technique consiste à diluer dans un récipient d’eau un mélange de gélatine et d’encre noire et à appliquer, à fleur même de cette eau épaisse, où l’encre affleure en configurations fluctuantes, une feuille de papier recouverte d’une mince couche d’argile qui la rend apte à absorber sans bavure, à enregistrer sans débord, à fixer, à stabiliser l’insolite marbrure d’encre. Une fois que le support est extrait du bac, l’artiste n’a que quelques secondes pour manipuler les images en agissant de différentes façons – en soufflant, vaporisant, inclinant le papier ou le faisant glisser sur un verre
Ces interventions, qui procèdent tout à la fois d’une grande rapidité d’exécution et d’une intense concentration, détermine le choix du moment et y imprime les traces du travail anticipé.
Roland Flexner est né à Nice en 1944, il vit et travaille à New-York depuis 1981.
Artiste pluridisciplinaire, à ses débuts proche des Nouveaux Réalistes et des membres de Supports/Surfaces. Après son départ aux Etats-Unis, il a continué de son travail autour des mêmes principes éthiques et intellectuels.
Ses œuvres sont présentes dans les collections permanentes de musées du monde entier tels que The Metropolitan Museum of Art, New York ; le Musée National d’Art Moderne, Paris ; The National Museum of Modern Art, Tokyo ; The Whitney Museum of American Art, New York ; The Albright Knox Museum, Buffalo; The Francois Pinault Foundation, Venice. Il a également participé à de nombreuses expositions personnelles et collectives à (entre autres) Massimo de Carlo Gallery, London and Milano; D’Amelio Terras Gallery, New York ; Galerie Nathalie Obadia, Paris ; Centre Pompidou Paris et Metz, Whitney Biennial ; Berlin Biennial, The Royal Academy of Art, London ; The Warhol Museum, Pittsburgh. Power Station of Art, Shangai.
Sur une invitation de Marie-Claude Beaud