Rencontre avec Eric Baudelaire
Au lendemain de la projection de son dernier long-métrage, Une fleur à la bouche, Eric Baudelaire présente son travail et plus particulièrement sa production audiovisuelle dans la « petite salle » de l’Institut audiovisuel de Monaco.
Né à Salt Lake City [1973], formé en sciences sociales à Brown University (Providence), puis au King’s College (Londres), plasticien et cinéaste, Éric Baudelaire développe une œuvre d’une grande radicalité politique et formelle. Son chantier figuratif principal concerne les maudits, au sens des oubliés, parias, vaincus, extrémistes, êtres exclus de l’économie générale (économie du monde, économie psychique). Une série de pièces traite des maudits géopolitiques : les États non reconnus du Caucase, en particulier l’Abkhazie. Elle associe un livre, États imaginés (2005), un film, Letter to Max (2014), une exposition, The Secession Sessions(2015) : l’ensemble permet de réfléchir aux notions d’État sans État, de nationalisme et d’indépendance. Un autre cas engage les maudits de l’histoire, à commencer par le cinéaste et militant Masao Adachi, dont l’œuvre n’a cessé de se mesurer à l’injustice et à l’indéfendable, emprisonné pendant presque trois décennies. Baudelaire transpose les initiatives prises par le chef-d’œuvre d’Adachi A.K.A. Serial Killer (1969) – raconter l’histoire d’un jeune meurtrier sans mot et sans le montrer, exclusivement grâce aux paysages que celui-ci a parcourus –, dans son film Also Known As Jihadi (2017). La description des territoires traversés par un islamiste parti combattre en Syrie s’y allie aux documents collectés à son sujet par la police, afin d’interroger le principe même d’action politique. Infigurable et point aveugle, le maudit devient révélateur. Sois ce que tu veux qu’il advienne : envisager un sujet exige de renouveler les formes du travail sous les auspices de la coopération. Au documentaire que Baudelaire consacre à Adachi, L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi et 27 années sans images (2011), succède une fiction réalisée avec celui-ci, The Ugly One (2013). L’impératif politique de muer les motifs en cocréateurs culmine avec Un film dramatique (2019), qui décrit la fabrique d’un film avec des collégiens de Saint-Denis et vaudra à toute l’équipe cosignataire le prix Marcel Duchamp.
Petite salle de l’Institut audiovisuel de Monaco
83-85 Boulevard du Jardin Exotique, Monaco