Le musée attaqué par Jean-Louis Déotte
Les récentes destructions d’œuvres au sein du Musée de Mossoul, puis les attaques menées contre des touristes occidentaux devant le Bardo à Tunis et dernièrement la destruction partielle du patrimoine de Palmyre viennent rompre une certitude ancrée depuis la fin du XVIIIème siècle européen. Celle de l’irréversibilité du mouvement « d’éducation esthétique de l’humanité » fort bien décrit par Schiller dans ses Lettres. Car le Musée, cette invention européenne (Londres, Dresde, Paris), a donné une nouvelle assiette à l’art, qui de cultuel devint culturel, qui de communautaire devint public, qui de réservé devint exposé au jugement de tous. Bref, le musée est cet appareil démocratique qui a inventé l’esthétique moderne.
Certes, dès le début, par exemple avec Quatremère de Quincy, puis avec Valéry, Heidegger, Merleau-Ponty, Dubuffet, etc., on se plut à le rendre responsable de la fin de l’art. C’est qu’il n’y a pas de musée sans déportation, sans le mouvement violent des conquêtes révolutionnaires ou impériales. Il y va de la ruine des mondes traditionnels au nom de l’émancipation des œuvres. Le lien entre « musée » et « ruine » est essentiel comme le montre l’œuvre d’Hubert Robert.
S’il est probable que les destructions actuelles, en plus de contester violemment les Lumières européennes, alimentent le marché de l’art, c’est que malgré les apparences , le musée et l’argent ne sont pas complices.
J.L. Déotte est professeur émérite de philosophie (Université Paris 8-Saint Denis), responsable de la collection Esthétiques chez L’Harmattan et de la revue en ligne <appareil.revues.org>.
Sa thèse de philosophie (Le Musée, l’origine de l’esthétique, ainsi que : Oubliez ! Les ruines, l’Europe, le musée, chez L’Harmattan) fut dirigée par J.F.Lyotard.
Dans le cadre du LAB, les coulisses du musée d’art de Monaco.