Artifices instables – Histoires de céramique

18.09.2020 - 21.02.2021 / Villa Sauber

Gauche : Poterie Artistique de Monaco
Vase tressé à décor de fleurs, anse à décor de bambou, fin du XIXe siècle
40 x 23,5 x 21 cm
Collection NMNM, n° 2002.2.2.2
Droite : Ron Nagle,
Coitis Mortis, 2013 Céramique, émail, polyuréthane, résine époxy et aluminium
17 x 22 x 14cm
Collection Silvia Fiorucci Roman, Monaco

L’exposition « Artifices instables, Histoires de céramiques » présente à la Villa Sauber un parcours d’inventions et d’expérimentations observant la diversité non seulement des formes et des décors, mais aussi des processus de fabrication de la céramique. Ses différentes étapes de production – la sélection et la préparation du matériau argileux, le façonnage, la finition, la décoration, la cuisson et l’émaillage – relèvent ainsi de « recettes » et de préparations quasi alchimiques qui varient d’un créateur/inventeur à l’autre.

Cristiano Raimondi, commissaire-invité de cette exposition, a fait le choix de traiter la céramique comme une matérialité hétérogène et instable narrant des récits transversaux. A travers une sélection de plus de 120 pièces d’artistes internationaux, il a pensé une scénographie à mi-chemin entre atelier et cabinet de curiosités, conçue avec l’aide de deux designers, le Suisse Adrien Rovero pour les tables sur lesquelles seront présentées certaines des œuvres et le Chypriote Michael Anastassiades pour les lampes produites par Flos. 

En 1874, la fabrique de Poteries Artistiques de Monaco, à la manière du mouvement Arts & Crafts, fait surgir de ses pièces des décors floraux et animaliers très colorés tout en figeant dans la terre les produits phares du terroir comme le citron et le raisin, souvent représentés dans une paille tressée émaillée. A cette même période, dans l’état américain du Mississippi, George Ohr, « le céramiste fou de Biloxi » produisit durant près de trente ans des pièces « magiques », des « vases émaillés abstraits » déstructurés, expérimentant des multitudes de formes et de processus de fabrication et d’assemblages. Il est reconnu aujourd’hui comme un pionnier de l’art moderne américain.

La deuxième période de la Poterie Artistique de Monaco (1907-1914) sera représentée par les œuvres surréelles ante litteram du céramiste français Eugène Baudin qui s’installa dans la région en 1906. Toujours en lien avec la Principauté, le Monégasque Albert Diato est un artiste pluridisciplinaire. Il découvre le travail de la terre dans l’atelier Madoura à Vallauris et contribuera à la révolution esthétique de la céramique dans les années 1950. La présentation d’assemblages en céramiques de l’Espagnol Pablo Picasso réalisées dans les mêmes ateliers ouvrira de nouvelles perspectives dans les champs de la création contemporaine occidentale proposant ainsi d’autres histoires d’artifices instables.

L’Italienne Chiara Camoni et la Syro-libanaise Simone Fattal donnent vie à des créatures mythologiques et archétypales. Bousculant les codes la Vénézuélienne Magdalena Suarez Frimkess a su renouveler la céramique américaine tout en lui conférant une fonction de revendication sociopolitique.

L’Américain Ron Nagle, élève de Peter Voulkos, échappe aux conventions de son époque avec ses pièces inspirées par les paysages et détails architectoniques de la ville de San Francisco, par la culture japonaise (ikebana et cérémonie du thé), et par l’œuvre de Giorgio Morandi.

Le terme d’expérimentation prend tout son sens avec le jeune artiste Brian Rochefort. Sous l’apparent désordre magmatique de ses pièces se cache une véritable prouesse technique où l’artiste hybride émail et argile, casse et recompose méticuleusement des éruptions de textures. De la même génération, le Britannique Aaron Angell propose sous forme d’assemblages des « maquettes » qu’il définit lui-même comme psychédéliques en poursuivant continuellement ses recherches sur le grès et les émaux qu’ils créent lui-même.

Enfin, Johan Creten est un observateur subversif qui retranscrit dans l’argile ou le bronze l’art de la métamorphose. La puissance totémique de ses œuvres est renforcée par leurs titres, souvent très évocateurs.

Toutes ces histoires ont en commun la reconsidération de ce que Victor Segalen nommait « la sensation du divers », qui n’engageait en fin de compte pas seulement le rapport à l’Autre, mais également la remise en question de l’idée même d’Artificialité. Ces recherches plastiques, réfléchies ou hasardeuses, et ces transmutations instables, confèrent toujours une valeur symbolique à la terre. Médium malléable, celle-ci n’atteindra qu’après cuisson un état inaltérable. Devenue céramique, elle conservera toujours, à travers ses métamorphoses et les inventions que lui ont fait subir ses créateurs, la mémoire de son artificialité et de ses altérations chromatiques.

« La céramique n’est pas une futilité », déclarait Paul Gauguin qui, pour s’être lancé dans le grand feu vers 1887, prophétisait qu’on lui reconnaîtrait un jour le mérite d’avoir élevé cette pratique au rang d’art. Ainsi libérée des classifications, elle a poursuivi son émancipation durant le siècle suivant. Elle n’a cependant jamais cessé d’interroger sa propre genèse, questionnant le rapport de l’objet d’art à la marchandise, et investiguant toujours plus le champ d’une métaphysique propre au médium. Ces considérations produisent entre les œuvres les échos subtils que conte cette exposition.

Cette exposition est accompagnée d’une publication, co-éditée par le NMNM et Mousse Publishing, avec des textes de Cecilia Canziani, Valérie Da Costa, Chus Martinez, Cristiano Raimondi et Agnès Roux.


Commissaire et scénographe de l’exposition : Cristiano Raimondi, assisté de Julien Rodier et Riccardo Lajolo
Chercheurs associés : Florian Daguet-Bresson, Viola Emaldi, Agnès Roux
Mobilier scénographique : d’après les dessins originaux d’Adrien Rovero et de Ron Nagle
Lumières : Michael Anastassiades pour FLOS

Lighting partner : FLOS



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