Kasper Akhøj, Welcome (To The Teknival)
Au premier étage de la Villa Sauber, le NMNM présente une exposition de l’artiste Kasper Akhøj consacrée à E-1027, Maison en bord de Mer, conçue par l’architecte Eileen Gray pour Jean Badovici entre 1926 et 1929 à Roquebrune Cap-Martin.
E-1027, Maison en bord de Mer
En 1929, âgée de 51 ans, l’artiste designer Eileen Gray achève sa première réalisation architecturale, répondant à la commande de son ami l’architecte Jean Badovici qui souhaitait « un petit refuge » dans le sud de la France. A la suite de Robert Mallet-Stevens, qui construit la Villa Noailles à Hyères entre 1923 et 1925, c’est à Roquebrune-Cap-Martin –commune limitrophe de Monaco – qu’Eileen Gray conçoit, bâtit et aménage E-1027, Maison en bord de Mer.
L’année de son achèvement, la maison fait l’objet d’une publication dans un numéro spécial de la revue « L’Architecture Vivante », dirigée par Badovici. Le portfolio contient une soixantaine de photographies prises par Eileen Gray, qui présente sa vision d’une construction mêlant étroitement architecture et design, dans une conscience aigüe des besoins de l’occupant de la maison et des mouvements de son corps. Sa conception de l’habitation envisagée comme un organisme vivant transparaît dans les vues d’intérieur réalisées au moment où elle vit à E-1027, avant de quitter la maison en bord de mer pour se lancer dans la réalisation de Tempe a Pailla, sur les hauteurs de Castellar.
Quelque vingt ans plus tard, dans le numéro d’avril 1948 de « L’Architecture d’Aujourd’hui », le célèbre architecte Le Corbusier publie à son tour des photographies de la villa, ou plus précisément des peintures murales dont il a recouvert les murs entre 1938 et 1939. Le nom d’Eileen Gray, comme celui de la villa, sont absents de cette publication.
E-1027 sera ensuite ignorée pendant près de trente ans avant de réapparaître dans l’histoire de l’architecture moderne au milieu des années 1970, peu de temps avant la disparition de Gray. La villa fait l’objet d’une campagne de restauration depuis 2007.
Welcome (To The Teknival)
Depuis 2008, Kasper Akhøj consacre un projet de recherche artistique à l’histoire d’E-1027, dont il documente la restauration à travers les vues originales d’Eileen Gray. Welcome (To The Teknival) se présente comme un ensemble de cinquante-neuf photographies argentiques en noir et blanc, réalisées d’après les planches publiées en 1929 par Gray et Badovici, à la manière d’un remake respectant scrupuleusement la perspective et la composition des photographies originales.
L’installation est composée de vues réalisées lors des cinq visites effectuées par Akhøj à E-1027 (en 2009, 2010, 2015 et 2017). Chaque vue de la maison n’est cependant présentée qu’une fois. Ainsi différentes strates d’histoire se chevauchent et se confrontent, évoquant les occupants successifs de la maison (Eileen Gray et Jean Badovici, puis Badovici seul ou en compagnie de son ami Le Corbusier et enfin plus récemment les ouvriers, les restaurateurs et architectes). Bien que tous ces personnages soient hors cadre, leur présence est perceptible à travers différents artefacts. Aux tasses de thé, livres ouverts et autres objets du quotidien savamment mis en scène par Eileen Gray pour présenter sa conception d’un certain « art de vivre », ont succédé les outils des ouvriers, maçons, électriciens, mais aussi les traces laissées sur les murs par les restaurateurs, peintres ou squatteurs du site. Le titre de l’exposition Welcome (To The Teknival) est emprunté à deux graffitis peints dans les années 1990 par les squatteurs qui occupaient le site abandonné, et qui furent partiellement recouverts lors des premières étapes de la restauration de la villa.
Chaque photographie d’Akhøj est légendée par un titre indiquant le numéro de prise de vue d’Eileen Gray (de 1 à 59), suivie du numéro de visite de Kasper Akhøj et de la date de sa propre prise de vue.
0 1 V 3 2 0 1 5 est donc la première vue du portfolio original, reprise par Akhøj lors de la 3ème visite d’E-1027, en 2015.
Ces titres induisent une potentielle permutation, reflétant peut-être l’incertitude inhérente à la nature de la restauration et la préservation, mais aussi les différents récits entourant l’histoire complexe du site qui se sont accumulés et interchangés au cours des années.
Les prises de vues de Kasper Akhøj s’apparentent au processus de restauration, en révélant l’absence et la transformation, et en remettant en question l’avenir des « ajouts » ultérieurs, telles les peintures murales réalisées en 1939 par Le Corbusier, que l’on peut considérer comme un acte de vandalisme du bâtiment de Gray par un rival mais qui, paradoxalement, jouèrent un rôle crucial dans la préservation du site. La restauration est encore évoquée dans l’exposition à travers un sondage de peinture, appelé « fenêtre de dégagement », qui met en évidence les couches de peinture successives appliquées sur les murs de la Villa Sauber, et réalisé par l’équipe en charge des restaurations de peintures de la Villa E-1027.
Dans le cadre de l’exposition Welcome (To The Teknival), le NMNM produit un nouveau film de Kasper Akhøj, qui sera réalisé durant l’été et présenté dans l’exposition à partir du mois de septembre 2017. Ce film, tourné en pellicule couleur 16mm dans quelques-uns des plus grands laboratoires européens de restauration, aura pour sujet le travail de restaurateurs d’objets d’art utilisant différentes technologies d’imagerie scientifique (radiographie, photographie infrarouge, imagerie hyperspectrale, et microscope électronique …) permettant une visualisation totalement abstraite de l’œuvre.
L’exposition sera accompagnée d’un livre d’art réunissant une soixantaine de photographies prises par Akhøj dans la Villa E-1027 à différentes étapes de sa restauration et les textes de Beatriz Colomina, Historienne de l’architecture (Princeton University, NJ) et Jorge Otero-Pailhos, Architecte et Professeur spécialiste de la préservation architecturale (Columbia University, NY).
C2RMF75602, 2017
Ce film a été tourné en pellicule 16 mm, au cours d’une journée de restauration dans les ateliers du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) à Paris.
L’objet du film est un tableau intitulé Portrait de femme, une huile sur panneau de bois datant du 16ème siècle. Attribué à Titien, il fut « déclassé » au moment du legs de Nélie André, en 1912, et appartient depuis aux collections du Musée Jacquemart-André. Il est alors considéré comme une copie, ou l’œuvre d’un suiveur de Titien. L’un des objectifs de la restauration en cours est de retirer les couches successives de repeints et de vernis afin de retrouver la peinture originale, qui a subi depuis sa création de très nombreuses modifications.
Commissaire de l’exposition : Célia Bernasconi